Après avoir travaillé pendant dix ans dans des ONG humanitaires, Julie Ancian conduit aujourd’hui des recherches sur les inégalités de santé, le genre et les violences. Sociologue, elle a contribué aux travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique. Elle a été lauréate du prix de thèse 2018 de l’École des hautes études en sciences sociales pour sa recherche sur les meurtres de nouveau-nés. Comment une mère peut-elle tuer ses bébés ? Dans une société qui idéalise la maternité, les femmes qui tuent leur nouveau né dans les heures qui suivent sa naissance provoquent horreur et incompréhension. Ce sont des « monstres » ou des « folles ».
L’enquête menée par Julie Ancian se situe à l’opposé de ces images convenues. Son livre s’appuie sur les récits exceptionnels qu’elle a recueillis auprès de femmes condamnées pour ces faits. Loin de ramener à une pathologie mentale, leurs propos témoignent de trajectoires traversées de fortes contraintes et de grande détresse : précarité, violences conjugales, isolement, absence de soutien familial… Contrairement à une idée répandue, l’accès aux services de planning familial, à une contraception efficace ou à un avortement, n’est pas garanti pour toutes les femmes.
Or, la justice, dans le traitement de ces homicides très particuliers, est aveugle aux inégalités sociales et particulièrement indulgente envers les hommes violents. Les observations de procès et les entretiens avec des magistrats et des avocats révèlent que l’institution judiciaire perpétue un discours trompeur sur la libre disposition de leur corps dont bénéficieraient toutes les femmes. Aussi l’autrice est-elle fondée à dresser ce constat : les violences qui pèsent sur les choix reproductifs des femmes sont encore largement inaudibles.